Tensions croissantes entre la Chine et Taïwan : Le rôle des États-Unis
Par Thomas Guilbaud, Juin 2025
Les relations entre la Chine et Taïwan traversent une période de tension sans précédent en 2025, exacerbées par les ambitions territoriales de Pékin et les efforts de Taipei pour affirmer son autonomie. Au cœur de ce conflit, les États-Unis jouent un rôle ambivalent, oscillant entre soutien stratégique et prudence diplomatique. Ces dynamiques ont été mises en lumière lors du récent Shangri-La Dialogue, un forum annuel de sécurité à Singapour, où des responsables mondiaux ont exprimé leurs positions sur la menace chinoise dans la région Indo-Pacifique.
Une escalade militaire et rhétorique
La Chine considère Taïwan comme une province insulaire devant être réunifiée avec le continent, par la force si nécessaire. En mai 2025, Pékin a intensifié ses manœuvres militaires autour de l’île, incluant des exercices simulant un blocus et une « opération de décapitation » visant les dirigeants taïwanais. Ces actions font suite aux déclarations du président taïwanais Lai Ching-te, perçu comme favorable à l’indépendance, ce qui a provoqué la colère de la Chine. De son côté, Taïwan a augmenté son budget de défense à 14,2 milliards d’euros, soit 2 % de son PIB, et modernise ses forces armées face à cette menace croissante.
Le Shangri-La Dialogue, organisé à Singapour du 30 mai au 1er juin 2025 par l’International Institute for Strategic Studies, a servi de plateforme pour des discussions cruciales sur la sécurité régionale. Ce forum, qui réunit chaque année des ministres de la défense, des chefs militaires et des diplomates du monde entier, a mis en évidence les divergences et les préoccupations face à l’attitude de la Chine. Cette année, Pékin n’a pas envoyé son ministre de la défense, mais une délégation de moindre rang, ce qui a été perçu comme un signe de désintérêt ou de défiance face aux critiques internationales.
La position américaine : Ambiguïté et soutien
Les États-Unis maintiennent une politique d’ »ambiguïté stratégique » depuis 1979, reconnaissant officiellement la République populaire de Chine comme le seul gouvernement chinois tout en soutenant Taïwan via le Taiwan Relations Act. Ce texte engage Washington à fournir des armes à Taipei pour sa défense, sans toutefois promettre une intervention militaire directe en cas d’invasion. Lors du Shangri-La Dialogue, le secrétaire à la Défense américain Pete Hegseth a adopté un ton ferme, déclarant que « la menace que représente la Chine est réelle et pourrait être imminente ». Il a accusé Pékin de « se préparer de manière crédible à utiliser la force militaire » pour modifier l’équilibre des puissances dans l’Indo-Pacifique, et a averti que toute tentative d’invasion de Taïwan aurait « des conséquences dévastatrices pour la région et le monde ». Hegseth a également exhorté les alliés asiatiques à augmenter leurs dépenses de défense pour renforcer la dissuasion régionale, tout en critiquant les actions chinoises en mer de Chine méridionale, notamment la militarisation illégale d’îles disputées.
En 2025, des généraux américains ont averti que la Chine pourrait être prête à attaquer d’ici 2027, soulignant les risques de blackouts, de frappes de missiles et de cyberattaques sur le sol américain en cas de conflit. Le département d’État a dénoncé les exercices chinois comme « irresponsables » et réaffirmé son soutien à la stabilité régionale.
Les perspectives européennes : Kaja Kallas et Emmanuel Macron
La Haute Représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères, Kaja Kallas, a également pris la parole lors du Shangri-La Dialogue, soulignant les liens entre la sécurité en Europe et dans le Pacifique. Elle a mis en garde contre l’alliance croissante entre la Chine et la Russie, notamment le soutien de Pékin à l’effort de guerre russe en Ukraine et le déploiement de soldats nord-coréens par Moscou. « Si vous êtes préoccupés par la Chine, vous devriez l’être aussi par la Russie », a-t-elle déclaré, insistant sur l’interconnexion des menaces stratégiques mondiales. Kaja Kallas a ainsi répondu aux propos de Pete Hegseth, qui avait suggéré que les Européens se concentrent sur la sécurité de leur propre continent, laissant les États-Unis gérer la menace chinoise dans l’Indo-Pacifique.
Le président français Emmanuel Macron, qui a prononcé le discours d’ouverture du Shangri-La Dialogue, a proposé une approche alternative. Il a appelé à la formation d’une « coalition des indépendants » entre l’Europe et l’Asie pour contrer les tensions entre grandes puissances comme les États-Unis, la Chine et la Russie. Macron a réaffirmé le rôle de la France comme puissance indo-pacifique, citant la présence de 8 000 militaires français dans la région et les territoires français dans le Pacifique Sud, tels que la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française. Il a mis en garde contre une instabilité croissante, soulignant que « la promesse des États-Unis pourrait ne pas être aussi solide qu’auparavant », ce qui pourrait fragiliser l’équilibre mondial. Macron a plaidé pour une autonomie stratégique accrue pour l’Europe et ses partenaires asiatiques, afin de ne pas être entraînés dans un conflit entre superpuissances.
Un équilibre fragile
La posture américaine, bien que visant à dissuader Pékin, alimente les tensions. La Chine a vivement réagi aux déclarations de Pete Hegseth lors du Shangri-La Dialogue, accusant les États-Unis de « semer la division » et de « jouer avec le feu » sur la question taïwanaise. Pékin a qualifié les remarques de Hegseth de « provocations » et a dénoncé une mentalité de guerre froide, affirmant que la question de Taïwan est une affaire intérieure. Les récentes visites de responsables américains à Taïwan, bien que non officielles, ont renforcé l’alliance informelle, tandis que des ventes d’armes continuent de provoquer la colère de Pékin. Dans ce contexte, le statu quo reste précaire, les deux superpuissances mesurant leurs mots et leurs actions pour éviter un conflit ouvert.
Conclusion
La rivalité sino-américaine autour de Taïwan, amplifiée par les discussions au Shangri-La Dialogue, redéfinit les dynamiques géopolitiques en Asie-Pacifique. Si la Chine pousse pour une réunification, Taïwan s’accroche à sa démocratie, et les États-Unis cherchent à maintenir un équilibre délicat, comme l’a illustré Pete Hegseth avec ses mises en garde. Les voix européennes, de Kaja Kallas à Emmanuel Macron, rappellent l’interconnexion des crises mondiales et appellent à une approche concertée pour préserver la stabilité. L’avenir dépendra de la capacité des trois parties à gérer cette tension croissante, au risque sinon de voir le détroit de Taïwan devenir un théâtre de confrontation majeure.